Le train de voyageur

le plus long du monde

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Le train de voyageur le plus long du monde

Transcription :

Le 29 octobre 2022 restera une date à jamais marquée dans l'histoire ferroviaire. Ce jour là les RhB, la compagnie des Chemins de Fer Rhétiques a fait circuler le plus long train de voyageurs du monde, sur l'une des plus belles lignes de la planète, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. Et pour ne rien gâcher, le temps était de la partie. C'est donc par une magnifique journée digne d'un été indien que s'est déroulé cet événement que je vais vous faire vivre de l'intérieur de ce train de près de 2 km de long qui n'a pourtant embarqué que 150 passagers.

Mais alors me direz-vous pourquoi avoir voulu réaliser un tel record ? Avec quel matériel ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ? Comment ce sont passés les préparatifs et la journée elle même, pourquoi n'étions nous que 150 à bord ? Je réponds à ces quelques questions et à quelques autres encore dans ce nouveau reportage. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !

L'idée de tenter l'établissement du record du plus long train de passagers du monde est venu à Renato Fasciati, le directeur de la compagnie des RhB alors qu'il regardait ses enfants jouer au train. L'un d'eux s'est amusé à récupérer tous les wagons qu'il pouvait trouver sur son réseau pour constituer le plus long convoi possible. Le PDG, préoccupé par les chiffres de fréquentation des trains de sa compagnie qui avaient chutés pendant et après la pandémie de covid 19 pour ne jamais revenir à la normal, cherchait un moyen de faire savoir à ses clients du monde entier que ses trains roulaient de nouveau et que son pays, et plus particulièrement le canton des Grisons était de nouveau ouvert aux touristes. C'était décidé, il allait profiter du cadre exceptionnel de la ligne de l'Albula pour proposer aux yeux du monde, un spectacle inédit et fascinant : il ferait circuler sur cette ligne le train de voyageurs le plus long du monde !

Mais vous n'êtes peut-être pas complètement familiarisé avec la Suisse, et ses cantons, alors je vous dis quelques mots de celui des Grisons.

C'est le plus grand des 26 que comptent la Suisse. Il est situé à l'extrémité est du pays à la frontière avec le Liechtenstein au nord, l'Autriche au nord et à l'est, et l'Italie au sud et au sud-est. On y parle 3 langues, le Romanche, l'Allemand et l'Italien. Côté train, ce sont donc les chemins de fer Réthiques ou Rhätische Bahn abrégé en RhB qui assurent les transports sur rail. Il s'agit d'une entreprise publique dont l'actionnaire majoritaire est le gouvernement cantonal. Elle exploite le plus grand réseau à écartement métrique de Suisse : 384 km. Celui-ci est connecté à Disentis à celui du Matterhorn-Gotthard-Bahn qui poursuit sa route jusqu'à Zermatt au travers des cantons d'Uri et du Valais. En revanche, dans les Grisons, les CFF ne pénètrent que sur quelques km le temps de rejoindre Coire depuis Zurich. Avant la pandémie, les RhB transportaient annuellement 260 000 passagers dont une bonne moitié de touristes étrangers circulant pour une bonne part à bord du Bernina Express reliant Coire à Tirano en Italie, et c'est précisément sur une portion de ce parcours là, qu'à circulé le train de voyageurs le plus long du monde.

Le précédent record était détenu par la Belgique qui le conserve d'ailleurs, parce-que les conditions techniques étant très différentes, les éditeurs du Livre des Records n'ont pas voulu faire concourir le train Suisse dans la même catégorie. En Belgique il s'agissait d'un train constitué d'une locomotive ayant tiré 70 voitures sur une voie à écartement standard, le convoi mesurait un peu plus d'un kilomètre, dans les Grisons ce week-end, c'est un train constitué d'un ensemble d'engins automoteurs sur voie étroite qui a roulé, il était composé de 25 rames dites « Capricornes ».

Rien à voir avec un signe du zodiac, le capricorne désigne en réalité le bouquetin, un animal qui y est très communément répandu, dans ce canton dont la plupart du territoire s'étend dans des montagnes dépassant les 4000 mètres d'altitude où il aime vivre. Il est même devenu l'emblème de la région, figurant sur son blason et son drapeau. Les Capricornes sont des trains construits par l'entreprise Stadler, dont les RhB sont le plus gros client pour ce qui est du matériel à voie métrique. L'entreprise a commandé en 2020, 56 nouvelles rames pour desservir ses lignes reliant Landquart à Davos ou Saint-Moritz. Depuis 2021, elle en réceptionne une nouvelle tous les 15 jours, qu'elle met dans la foulée en service après une période d'essai. Les dernières livraisons sont prévues pour 2024. Munies d'un attelage automatique, elles sont constituées de 4 caisses. Elles comptent 35 sièges de première classe, 129 de seconde, des espaces pour les bagages, les vélos, les skis et autres matériels de sport, ainsi que deux emplacements pour des fauteuils roulants. Elles peuvent circuler en unités multiples associant jusqu'à 4 automotrices.

Et c'est là que pour l'établissement du record du monde, les problèmes ont commencé.

Il a fallut en effet désactiver les logiciels embarqués, car ceux-ci ne pouvaient prendre en charge les 25 automotrices, et prévoir de placer dans la rame un total de 7 conducteurs dont les actions devaient être parfaitement coordonnées pour que le train puisse avancer. Un premier test au cours duquel 8 compositions furent assemblées, s'est soldé par un échec. En raison des nombreux tunnels et de la faiblesse des signaux du réseau téléphonique dans la région, il s'avéra impossible de réussir à faire communiquer dans de bonnes conditions les conducteurs entre eux. La solution qui fut trouvée alors, consista à installer à bord un système de téléphonie de l'armée, datant de la seconde guerre mondiale. Un fil fut tiré tout au long du convoi pour lui permettre de fonctionner. Le deuxième test, réalisé avec 15 compositions fut un échec. Ce fameux fil cassa, le train ne pu bouger.
Il permit de se rendre compte qu'il fallait également s'assurer que si l'une des rames déclenchait un arrêt d'urgence, il fallait que toutes les autres le fassent également simultanément. Un autre câble fut donc mis en place à cet effet. Et la troisième tentative fut la bonne. Elle fut effectuée deux semaines plus tard avec cette fois-ci 16 compositions et tout se déroula comme prévu.

Par la suite aucun essai n'a été réalisé avec 25 compositions, il restait donc pour le jour J quelques inconnues.

La principale inquiétude pour l'équipe technique était la caténaire, et sa capacité à supporter la quantité d'énergie que lui renverrai la rame.

Ce qui peut-être assez contre intuitif, c'est de savoir que le train du record du monde n'a en fait dépensé aucun kilowatt, il en a au contraire produit !

Les rames modernes sont en effet dotées de dispositifs qui leur permettent de procéder à ce que l'on appelle la récupération d'énergie, en vue bien sur d'économiser le courant consommé. Sur le réseau des chemins de fer rhétique, cette énergie est à 100% produite par des barrages mais également par les trains eux-mêmes. Lorsqu'une locomotive tractionne, elle tire du courant via ses pantographes, depuis la caténaire, mais lorsqu'elle freine, elle produit elle-même une grande quantité d'énergie, que l'on ne laisse désormais plus perdre sur le matériel moderne. Le courant produit est renvoyé dans la caténaire pour qu'il profite aux trains qui en ont besoin sur la ligne, et même sur des lignes voisines, pourquoi pas, celle des CFF. Mais il arrive même que cette électricité soit produite en trop grande quantité par rapport aux besoins des trains dans la région. Elle est alors ré-injectée dans le circuit domestique et permet d'éclairer des foyers. Le risque avec le train du record, était d'en produire tellement, que la caténaire ou les dispositifs du réseau électrique public ne puisse le supporter, c'est pourquoi la vitesse du train fut limitée à 25/30 km/h et la quantité de kilowatts produits surveillée de très près pour qu'elle n'excède pas cette capacité.

Tous les points sensibles semblant avoir été traités, une date allait pouvoir être définie pour tenter ce record.

Celle choisie fut celle du 29 octobre, car elle correspondait à une période plus calme sur le réseau des RhB, la saison estivale venant de s'achever et celle hivernale n'étant pas encore entamée. Bien sur à cette date, et à cette altitude, il n'était pas exclu de voir tomber les premiers flocons de neige, ce qui aurait pu compliquer le déroulé des opérations, mais il n'en fut rien. Les rames Capricones ne circulant pas habituellement sur cette ligne et risquant de faire défaut sur celles auxquelles elles étaient affectés habituellement, un grand balai se mis en place dans les jours précédant celui du record. Progressivement, les nouvelles rames des RhB vinrent assurer des trains réguliers sur la ligne de l'Albula, et sur le reste du réseau, tout ce qui pouvait être disponible en terme de matériel roulant, y compris des voitures habituellement réservées à des circulations sur des trains historiques fut mis en service pour assurer leur remplacement. Dans la nuit du vendredi au samedi, les premières compositions furent assemblées à la hauteur de Samedan, puis amenées dans le tunnel de l'Albula. L'idée était qu'au moment de son départ, le train du record soit complètement caché, ce qui était d'autant plus simple à réaliser que ce tunnel ne mesure pas loin de 5 km de long. Le samedi matin, les dernières rames ont servi à amener les visiteurs à Bergün où des chapiteaux et des écrans géants avaient été dressés pour qu'ils puissent profiter du spectacle. Ces automotrices ont poursuivi leur voyage jusqu'à l'autre extrémité du tunnel de l'Albula qui débouche à la gare de Préda, pour être arrimées elles aussi à la rame du record.

Nous n'étions que 150 à avoir pu monter à bord de cette rame qui aurait pu théoriquement embarquer plus de 4500 personnes, la raison c'est bien évidement le poids qu'il fallait limiter, mais vous aller le voir aussi, les conditions très particulières dans lesquelles on a pu accéder au train.

Il faut croire que pour ce record du monde, toutes les planètes étaient alignées. Il avait été décidé qu'il se déroulerait aux alentours du village de Bergün, là où la ligne suit des courbes hélicoïdales pour lui permettre de perdre de l'altitude en peu de km, ce qui a n'en pas douter offrirait un spectacle tout à fait exceptionnel d'un train roulant dans une direction à un certain niveau, mais dans l'autre aux étages du dessus. Le viaduc de Landwasser, ouvrage d'art emblématique de la ligne et des RhB avec ses 123 mètres de long et 65 de haut serait le cadre idéal pour le final. Et enfin, le tunnel de l'Albula faisant l'objet de la construction d'un nouveau tube, parallèle à l'existant constituerait une excellente gare de départ. C'est dans ce nouveau tunnel que nous nous sommes engouffrés, que nous avons marché sur environ 500 mètres avant de pouvoir monter à bord du train dont l'une des portes avait été judicieusement arrêtée juste en face d'une galerie de service reliant les deux tubes. Le tunnel d'origine présentant des signes de fatigue, il fallait soit envisager d'y réaliser d'importants travaux qui ne pourraient que se dérouler la nuit pour ne pas gêner les circulations, soit creuser un nouveau tube. Le coût de l'une ou de l'autre des opérations étant sensiblement le même, les RhB ont opté pour la deuxième option. Quand les travaux seront terminés, les trains emprunteront le nouveau tunnel au gabarit plus large que l'actuel, et ce dernier servira de galerie de secours en cas de besoin d'arrêter et d'évacuer un train en cours de trajet.

Je peux vous dire qu'il faisait frisquet dans le tunnel où la température oscille tout au long de l'année entre 8 et 10 degrés et ou un courant d'air glacial ne cesse de souffler, alors on a bien apprécié la soupe que l'on nous a servi avant de pouvoir monter dans le train.

Fausse alerte à 14 heures qui était l'heure prévue pour le départ du train, un problème de fixation d'une caméra nous a retardé quelques temps, mais moins d'une 20aine de minutes plus tard, le coup de sifflet tant attendu à retenti dans le tunnel, et le train à commencé à littéralement glisser tout en douceur sur la voie et à sortir progressivement du tunnel. Sans le moindre à-coup, dans un grand silence, la rame a commencé sa descente vers Bergün. A la vitesse moyenne tranquille de 25 km/h, le parcours a été réalisé en une bonne demie-heure. Dans la cabine de la première locomotive Capricone, se trouvait le conducteur qui avait la responsabilité de s'assurer que la voie était libre. Il était accompagné d'un autre agent dont la mission était de coordonner les actions des 7 pilotes. La réussite du record reposait en effet sur la parfaite synchronisation de leurs actions. Tous devaient tractionner ou freiner en même temps, et dans les mêmes proportions pour que le voyage se déroule sans encombre. Lorsque les passagers de la rame, 80 journalistes, 40 invités qui pour la plupart avaient gagné leurs place lors d'un concours, mais aussi une 20 aine de techniciens spécialistes de l'alimentation électrique, des attelages ou du frein, virent la représentante du livre des records compter le nombre d'éléments qui passaient devant elle, ils comprirent que c'était gagné. Entre deux tunnels, le village de Bergün se laissa découvrir par les fenêtre tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, au gré des méandres suivis par le train, et à chaque fois à des niveaux différents. Les routes de la région étant coupées, les piétons et même les cyclistes étaient nombreux à suivre le convoi qui finit par s'arrêter en douceur à la gare de Bergün. Les passagers purent alors descendre sur le quai, pour constater que l'avant du train se situait bien au delà, mais que l'essentiel du convoi restait encore à venir. Oui, c'est très long un train de pas loin de 2 km ! La suite du spectacle, et là, ce n'était vraiment plus que pour le plaisir puisque le record était désormais homologué, ils purent la suivre sur l'un des écrans géants installés dans le village. Le train repris sa longue glissade qui l'amena à traverser sans encombre le viaduc de Landwasser. Pari réussi ! Les images que les équipes des RhB et de leurs partenaires espéraient produire à l'occasion de cet événement étaient dans la boîte et diffusées dans le monde entier, sublimées par la lumière et les couleurs de cette très belle journée d'automne. Rien que du bonheur !

Les RhB avait annoncé qu'ils feraient circuler un train de 1910 mètres de long, finalement les responsables du livre des records qui sont venus faire des mesures sur place n'ont retenu que 1906 mètres, ça ne va pas changer grand chose à l'affaire, ce record là risque d'être très difficile à battre, car outre les difficultés techniques à contourner, il faudra aussi trouver une compagnie dans le monde qui possède suffisamment de matériel roulant pour pouvoir constituer un convoi plus long, et ça, sur voie métrique, c'est loin d'être gagné.











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